Récit de Sylvie M. (secrétaire au conseil d’administration)



En juillet 2023 j’ai pu, avec Elisabeth, être à Youtou au moment du Karahaye. Le Karahaye cérémonie de la fécondité et de l’initiation des femmes, n’avait pas eu lieu depuis 1992. Plusieurs villages de Guinée Bissau et du Sénégal sont concernés par ce rituel exclusivement réservé aux femmes ayant eu ou attendant un enfant.
Cérémonie animiste qui concrétise le lien de filiation entre les femmes, de mère en fille, des ancêtres lointaines aux futures naissances et qui montre l’importance des femmes dans la vie du village. La force de ce lien à travers le temps et la nature créait une ambiance à la fois fervente et heureuse qui s’est ressentie parmi les spectateurs pendant les 10 jours de fête. Près de 1200 femmes étaient là au début + tous les hommes, enfants et invités qui venaient les encourager chaque soir lors de leurs danses.
Chaque jour les femmes se retrouvent au bois sacré avec leurs reines elles y prennent un repas si elles ne l’ont pas pris dans les quartiers où il y a des préparatifs collectifs. Ce qui se passe ensuite au bois sacré ? Elles seules le savent, rassemblées autour du pouvoir sacré des reines et des fétiches. Il y a transmission entre elles du culte, des traditions, de la manière de conduire sa famille…C’est une initiation qui est le pendant du Bukut qui a eu lieu en 2014 pour les hommes. Ces moments entre elles au bois sacré sont une véritable expérience, une révélation du secret, des secrets des femmes et un temps de cohésion sociale fort pour elles.
Les reines sont 2 à 3 par quartiers, cooptées parmi certaines familles, et elles ont chacune leurs fonctions : gardiennes de fétiches, responsables de la distribution de certaines nourritures… Pour la fête elles sont habillées en noir. Elles ont aussi la fonction tout le temps de prendre un certain nombre de décisions qui concernent les femmes et le village. Il y a aussi des femmes intermédiaires dans le village, généralement les + âgées, auxquelles les villageoises peuvent s’adresser pour faire passer des messages aux reines : une décision incomprise, une demande collective…C’est une sorte de contre-pouvoir auquel toutes les femmes peuvent accéder.



Après ce temps au bois sacré les femmes sortent en file indienne pour aller jusqu’au lieux de danse, un par quartier. Les femmes sont joyeuses avec des parapluies à la fois décor et protection du soleil. Elles ont toutes le même pagne sombre avec plusieurs dizaines de grelots brodés sur tout l’arrière et des colliers, des corsages ou tee shirts colorés identifiés par groupes de famille élargie. La tradition oblige aussi à se raser la tête. Mais les femmes ont rivalisé d’inventivité pour avoir toutes des coiffures travaillées à partir de quelques mèches, de dessins et de multiples coquillages, perles, plumes… Toutes différentes, toutes belles !



La danse dure 3h à 3h30 jusqu’à la nuit. Les hommes, enfants et invités sont là autour avec leurs plus beaux habits pour admirer et encourager les femmes. Ils ont décoré le lieu de danse pendant la matinée et préparé des animations, surtout les jeunes qui sont fiers de participer concrètement à cette fête de leurs mères, sœurs, filles et épouses. Les tambours sénégalais les bombolongs rythment les chants et la danse, leur côté répétitif entraine et fait vibrer.
Après la première semaine de danse dans chaque quartier avec toutes les femmes, quelques jours d’arrêt puis des danses aussi mais 2 quartiers par 2 quartiers. L’ambiance est plus détendue les femmes se permettent moins de sérieux, de rituels…jouent elles-mêmes du tambour, s’amusent…
Le soir, de retour dans les cases on entendra les familles qui se retrouvent avec leurs invités autour du bol, rires et bonheur d’être ensemble jusque tard dans la nuit.
Pour moi toute la symbolique et les liens avec les ancêtres, la nature, étaient en partie incompris mais j’ai pu ressentir la ferveur, l’effervescence, l’émotion et la joie et le lien fort entre les femmes d’une génération à l’autre. Un souvenir extraordinaire, une chance d’avoir été accueillie par le village, les familles et partagé ce moment.